Publicité : la télévision a-t-elle encore un avenir ?

On pensait la télévision gratuite sauvée par une longue et difficile transition vers internet. Mais les nouveaux annonceurs ne suffisent pas, les comportements évoluent et les a l’instar du modèle économique de Netflix : l’utilisateur n’aime plus la réclame, il veut le programme qu’il recherche quand il le veut. Le petit écran doit évoluer vers un modèle payant, explications d’Etienne Gaillard, consultant au sein de notre agence de brand marketing.

La révolution annoncée tant de fois aura bien lieu : le château-fort « télévision » est à l’aube d’une nouvelle ère.  Ses remparts ont tenu bon mais la bataille s’est déplacée ailleurs. Les défenses vaillantes de cette industrie pourraient rapidement tomber en désuétude.

Les acteurs de cette industrie pensaient avoir mieux géré la transition « internet » en veillant à éviter toute spoliation contrairement à d’autres industries avant elle. Les acteurs du monde de la télévision ont même écouté les sirènes des technologues, promettant des « disruptions majeures » à coup d’acronymes plus barbares les uns que les autres. Or la technologie n’est rien à l’échelle des changements qui s’annoncent : comme un exode, les usages ont si fondamentalement changé que les protagonistes se sont déplacés ailleurs, changeant l’équilibre de tout le système.

 

Migrer vers des terres plus fertiles

Bien sûr, tous les acteurs de la télévision ne sont pas touchés de la même façon. Certains se retrouvent renforcés : la question pour eux est de tirer parti de cette migration et faire face à une nouvelle concurrence. D’autres au contraire doivent abandonner leurs châteaux forts pour conquérir des terres plus fertiles …et convoitées.

Le nerf de la guerre c’est évidemment le financement de l’industrie, et Internet a fini par l’affecter d’une façon assez inattendue, beaucoup moins directe qu’on l’avait imaginé. En simplifiant, il existe deux modèles de financement de la télévision : la télévision dite « gratuite », c’est à dire financée par la pub, et la télévision dite « payante », c’est à dire financée par des revenus directement collectés auprès des abonnés (TF1 et Canal+…).

 

Augmenter la valeur de leur monnaie d’échange

Le schéma économique de ces deux modèles repose sur deux notions fondamentales :

  • Côté télévision gratuite, les vrais clients sont les annonceurs qui cherchent de façon ultime à vendre des biens et services. La télévision gratuite leur fournit un « support » pour relayer leur message. Leur message est d’autant plus efficace qu’il est entendu par le plus grand nombre, soit par l’audience la plus large possible (la notion de cible importe également). Ce qui importe pour les acteurs de la télévision gratuite c’est donc d’agréger des audiences susceptibles d’attirer de multiples annonceurs de façons à créer une concurrence entre ces annonceurs pour augmenter la valeur de leur monnaie d’échange : le fameux « temps de cerveau disponible ».
  • Côté télévision payante, dans la mesure ou la matière audiovisuelle est ce qui est directement payé par le consommateur, la notion fondamentale c’est la « valeur perçue » : faire en sorte qu’un abonné « en ait eu pour son argent » à chaque échéance de paiement. C’est une notion très composite : un film, une série, ou un match de mon équipe favorite peut affecter cette valeur perçue. La façon dont je délivre les contenus peut également affecter cette valeur perçue : même  si je suis frustré de ne pas voir tous les épisodes d’une série d’un seul trait, ma frustration d’origine fait partie du plaisir final lorsqu’enfin le diffuseur programme un nouvel épisode. La gestion de cette notion, des mécanismes de « privation » puis de «  délivrance » c’est le principe même de la gestion d’une offre payante (pervers, mais très efficace : demandez à Manuel Alduy) – ceci d’autant plus quand votre préoccupation est la stricte optimisation du rapport entre investissement dans les contenus et valeur perçue.

 

Certain argumenteront que la télévision « payée par les contribuables » est un autre modèle, mais je la considérerai ici comme un cas particulier de télévision gratuite (car il semble que ce soit bien les standards qui lui sont appliqués).

Or, ces deux modèles sont affectés par une notion fondamentale qui n’a réellement émergé que récemment : la connectivité. La « voie de retour ». Au delà des moyens techniques, c’est une veritable nouvelle donne pour l’industrie.

 

Un changement bénéfique à la télé payante ?

Commençons par la télévision payante. A priori c’est un phénomène positif pour elle, pour autant qu’elle sache en tirer parti et qu’elle s’adapte à la vitesse nécessaire. Pour elle, tous les moyens techniques qui permettent d’une part d’en savoir plus sur les consommations unitaires (qui permet de connaître intimement les raisons pour lesquelles vous payez un abonnement), et d’autre part l’amélioration de l’accessibilité aux contenus en eux-même sont des facteurs a priori positifs sur la manipulation de la « valeur perçue »…

A priori seulement, car en même temps les usages et les comportements d’appréciation de valeur évoluent aussi : il est bien plus difficile de satisfaire des enfants gâtés comme chacun le sait. Pour contrebalancer cela, la déroute de la télévision dite « gratuite » précipite les détenteurs de contenu du coté des télévisions payantes, créant une spirale globalement positive. Enfin, les contenus de la télévision payante se vendent « pour eux-mêmes », et sont donc l’objet de la transaction entre opérateur et abonné… Et la connectivité renforce – pour ceux qui savent en tirer parti – la nature transactionnelle des offres de télévision à péage.

Pour la télévision gratuite c’est beaucoup moins trivial. Car la connectivité porte avec elle une évolution bien plus fondamentale qui va totalement changer notre paysage audiovisuel.

Conduire à la transaction

Cette révolution, c’est un retour aux sources des besoins de ceux qui payent : les annonceurs. Un besoin trivial et direct : vendre. Or la connectivité apporte une notion fondamentale : on peut savoir quand une transaction a eu lieu ou non. Si la télévision gratuite s’est développée sans ce souci, c’est qu’elle s’était extraite de ce rapport direct du fait de ses limitations initiales. Dans le « parcours client type », décrit en marketing comme le modèle « A.I.D.A » (Awareness, Interest, Desire, Action), la télévision s’était arrogé la part du lion de « Awareness » : le moyen « faire connaître une offre ».

D’autres canaux devaient supporter les autres interactions, pour conduire à la transaction ultime – ceci ne voulant pas dire que la valorisation de la transaction n’était pas reliée à la télé, mais qu’elle l’était d’une façon distante… Mais les annonceurs attendent désormais un accompagnement des medias qui les supportent vers le graal ultime : l’action, la transaction en elle même – après tout elles ont elles-mêmes la capacité d’exposer seules leurs offres (cf articles Red bull suivants). La clé ce n’est plus l’Awareness seule, mais le parcours dans son ensemble, jusqu’à la transaction.

La fin du clivage payant – gratuit ?

Parce que, si vous êtes un éditeur de télévision aujourd’hui vous ne pouvez plus être une simple vitrine. Ce qui crée de la valeur pour les annonceurs c’est d’être une boutique. Or si votre objectif change, la nature de votre offre peut-elle rester la même ? La télévision gratuite et la télévision payante vont changer, et leur proximité va probablement s’amenuiser :

  • La télévision payante est par nature transactionnelle : ce quelle vend c’est bien le contenu en lui même. Ce qui crée la valeur c’est l’histoire, la qualité de l’émotion, et au final l’envie d’en voir plus.
  • Pour la télévision gratuite, « l’histoire » n’était là que pour sous-tendre une interruption.

Or cette « suspension », ce principe fondamental qui a fait la télévision gratuite, est devenu le problème. Le problème c’est que lorsque que vous regardez la TV, vous êtes engagés avec la narration, avec l’histoire qui vous est raconté. Cette manipulation intellectuelle a été la garantie pendant des années que vous resteriez devant les écrans de pubs : engagés avec l’histoire, et ne sachant pas combien de temps allait durer la suspension, vous étiez « disponibles ». Mais cette formidable arme a un revers : c’est avec l’histoire que vous êtes « engagé » lorsque vous regardez la télévision, et non avec la marque qui vous propose son produit. Ainsi, votre attention vis a vis des marques est passive. 30 ans de « télévision interactive » l’ont prouvé : vous êtes engagés avec la narration  et non avec l’annonceur…C’est ce principe qui va voler en éclat dans les années à venir, transformant drastiquement la télévision gratuite.

 

Des formats en mutation

Le mandat des télévisions gratuites changeant, elles devront s’adapter : devenir payantes, ou devenir des machines à vendre. Or pour devenir des machines à vendre, elle doivent réévaluer le potentiel de leur programmation : quels sont les programmes qui recèlent le plus de « capacité à convertir » ? Quels sont les formats à mettre au point pour permettre ces transactions ?

Voici trois prédictions (amusantes) :

  • Le premier enjeu sera de permettre aux téléspectateurs d’interagir avec les propositions de l’annonceur : pour cela il faudra « de-stresser » le téléspectateur de la « peur » de rater la reprise du programme. Des moyens techniques pourront le permettre, tels que la mise à disposition des programmes à la demande ( à condition d’être beaucoup mieux intégré qu’aujourd’hui), mais aussi des logiques de formats, telle que la multiplication des interruptions de durées connues : partitionner un match de foot en quatre au lieu de deux parties offrirait bien plus de potentiel qu’une seule interruption d’un quart d’heure ;
  • Le second enjeu sera de multiplier les sollicitations, et surtout se poser la question du pouvoir transactionnel des programmes eux-mêmes. Verrons-nous un inversement de la pyramide de valeur des programmes ? Sous l’angle de la capacité à générer des transactions le cinéma est limité (du fait d’un engagement premier avec la narration en elle même), le sport moins, mais les documentaires, magazines et canaux d’info – aujourd’hui parents pauvres de la télévision – seront-ils les formats ultime de la télévison gratuite du future ? De façon incroyable, probablement ! (voir l’ambition de Twitter a ce sujet)
  • Le dernier enjeu est réglementaire, mais il ne s’applique qu’à ceux qui luttent dans leurs châteaux forts depuis leurs remparts… Les plaines sont vierges, elles.

… A quelle échéance ?

Il suffit de voir les débats de l’industrie des agences de communication (voir le canal youtube de Cannes Lions), l’appétit des Google et Twitter, l’ambition des Bolloré… et surtout les usages se déplacer : cette révolution est différente. C’est un tsunami.

Extrait de www.latribune.fr

Gabriel Dabi-Schwebel

Ingénieur de formation j’ai commencé ma carrière dans le conseil en télécom et en média. J’ai aussi monté de multiples projets entrepreneuriaux, marque de bijoux, bar à jus de fruits, éditeurs de logiciel avant de créer 1min30 en 2012, la première agence en Inbound Marketing en France.

Avec 1min30, nous avons piloté les stratégies digitales de centaines d’entreprises mais aussi développé un blog qui a plus de 300K lecteurs par mois, une communauté de plus de 100K abonnés sur l’ensemble des nos réseaux sociaux et une maison d’édition dans laquelle nous publions nos livres et ceux de nos clients.

Depuis 2017, je suis ainsi l’auteur et coauteur de 8 livres sur le marketing et la vente, dont 5 de méthodes basées sur l’intelligence collective : Acquisition Strategy Design, Customer eXperience ReDesign, Brand Strategy Design, Q2C Selling et 3 méthodes marketing pour les RHs

Aujourd’hui, 1min30 fait partie des 3 plus grandes agences HubSpot en France. Nous avons fait des intégrations les plus complexes notre spécialité et proposons à nos clients un accompagnement complet sur la solution alliant conseil, intégration, formation et agence. Contactez moi si vous souhaitez dépasser les objectifs de leur investissement CRM.

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  • A la grande époque que beaucoup de la génération Y n'ont pas connu, un certain J5M avait compris (mais mal appliqué)que le problème était le contenu non le tuyau (ce que certains dans le Digital oublient). De la meme facon que les Big five (hihihi) prédisaient la mort du PC face au portable, la mort des potables face aux tablettes (j'en passe et des meilleurs, les maîtres mots sont le confort et la convergence. Les écrans grandissent, la HD (voire le 4K)se démocratisent, le home cinéma est plus qu'abordable, le sans fil est une réalité... Mais dans le même temps, je souhaite pouvoir accéder à tous mes programmes sur un voire max 2 supports.
    Je ne pense ps que la télé même payante soit dépassée (et certainement pas morte, voire les années de vache maigre de Canal) mais seuls la convergence et le service feront la différence. Je me souviens de tentatives faites il y a quelques années pour créer un jeu en temps réel pendant les grands prix de F1. De même j'avais regarder la possibilité de racheter de vieilles salles de cinéma pour jouer dans la même salle. Aujourd'hui les LAN arena le font très bien.
    Donc le support écran est bien vivant mais il évolue sans cesse vers le service et la convergence (voire les deniers écrans Samsung).
    Bien amicalement,
    @BrunoBib

  • Comme toute évolution technologique, l'internet aura apporté beaucoup au monde contemporain mais malgré tout, la télévision gardera sa place, qu'elle soit payante ou gratuite. Ce serait un recul d'abandonner un outil aussi pratique juste parce qu'on a trouvé une nouvelle innovation.